Au Sahel, des journalistes sous la pression des jihadistes et des autorités, dit RSF
Couvrir librement les multiples crises du Sahel est de plus en plus difficile pour les journalistes, davantage encore depuis que des militaires ont pris le pouvoir dans plusieurs pays, indique Reporters sans frontières (RSF) dans un rapport publié lundi.
La bande sahélienne qui traverse le continent d'ouest en est menace de devenir "la plus grande zone de non-information de l'Afrique", dit RSF dans ce rapport sombre.
L'expulsion des correspondantes des quotidiens français Le Monde et Libération par la junte au Burkina Faso samedi est venue assombrir encore le tableau. Le rapport de RSF a été rédigé avant leur expulsion.
Leur expulsion "illustre combien la junte burkinabè est en train de suivre les pas de la junte malienne", a dit à l'AFP Sadibou Marong, responsable du bureau de RSF pour l'Afrique subsaharienne.
"On a peur d'un scénario du pire où ils (les dirigeants du Burkina) empêchent toute information (de sortir) vers l'extérieur (...) mais on a confiance aussi (dans le fait) que c'est un pays où les gens résistent historiquement" quand il s'agit de liberté de la presse, a-t-il dit.
La presse locale et internationale fait face à une "dégradation constante" de ses conditions de travail depuis dix ans, dit le rapport couvrant le Burkina, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad, mais aussi le nord du Bénin, confronté à des défis sécuritaires similaires.
Il décrit des journalistes pris entre la violence des jihadistes et des groupes armés d'une part, et les restrictions, les pressions, les suspensions de médias et les expulsions de correspondants étrangers par les autorités d'autre part.
Il évoque l'effet négatif joué par l'arrivée selon lui de la société de sécurité privée russe Wagner au Mali.
"Cinq journalistes ont été assassinés, et six autres ont été portés disparus entre 2013 et 2023", dit le rapport. Il fait état de près de 120 journalistes arrêtés ou détenus pendant cette période, dont 72 rien qu'au Tchad.
Il rend compte des attaques par les jihadistes et de la disparition des radios communautaires, très écoutées, parce qu'elles n'adhéraient pas à leur cause.
De vastes étendues sont devenues inaccessibles aux journalistes parce que trop dangereuses. Les sources sont "terrifiées" par la possibilité de représailles des groupes armés, mais aussi des autorités.
Au Mali, au Burkina et au Tchad, à peine arrivés au pouvoir, les militaires ont cherché "à contrôler les médias au travers de mesures d'interdiction ou de restriction, voire d'attaques ou d'arrestations arbitraires", selon le rapport.
RSF rappelle la suspension des médias français France 24 et Radio France Internationale (RFI) au Mali et au Burkina. L'expulsion ou le départ contraint des correspondants étrangers faute d'accréditations laissent le champ "libre aux médias favorables au narratif pro-russe défendant la présence des mercenaires de Wagner dans la région", ce qui contribue "à l'explosion de la désinformation", déplore l'ONG.
Les pressions exercées sur la presse au nom d'un "traitement patriotique" de l'information favorisent "un journalisme aux ordres", et l'autocensure sur des sujets sensibles comme Wagner ou les pertes infligées par les jihadistes. Elles alimentent aussi le cyberharcèlement contre les voix dissonantes, dit RSF.
RSF mentionne aussi la détérioration de la situation financière des médias, sous l'effet de la crise et de l'arrêt des subventions des Etats.
RSF laisse entrevoir quelques lueurs d'espoir. Elle évoque la copie miroir des sites de RFI et France 24 qu'elle a créée pour continuer à les capter. Elle cite la création de modes différents de collecte de l'information et de partenariats entre médias, ainsi que le développement du factchecking.
D.F. Felan--LGdM