Takeshi Kitano retourne à Cannes: "Je déteste être influencé" (entretien à l'AFP)
"Je déteste être influencé", confie le réalisateur japonais culte Takeshi Kitano dans un entretien exclusif accordé cette semaine à l'AFP avant son départ pour le festival de Cannes, où son nouveau film, "Kubi", sera dévoilé mardi.
Ce film d'époque à grand spectacle, qui se déroule à la fin du XVIème siècle dans un Japon secoué par des conflits entre seigneurs obsédés par l'idée de trancher la nuque ("kubi" en japonais) de leurs rivaux, est le premier long-métrage de Kitano depuis six ans.
Et le réalisateur de 76 ans touche-à-tout (il est aussi animateur à la télévision japonaise, peintre, écrivain...) n'était plus apparu sur la Croisette depuis la sortie de son film "Outrage" en 2010.
Même si "Kubi" ne figure pas en compétition officielle, étant inscrit dans la section parallèle "Cannes Première", le grand retour de Kitano au cinéma s'annonce comme un temps fort du festival.
Calé dans le sofa de sa loge dans un studio de la chaîne TV Asahi à Tokyo, juste après l'enregistrement d'une émission politique dont il est l'animateur vedette depuis des décennies, le cinéaste préfère cependant minimiser l'événement et les enjeux.
"Cela fait longtemps que j'essaie d'arrêter la télévision et le cinéma (...). Donc je me suis dit que ce film serait mon dernier. Mais après le tournage, le film a été bien reçu par les acteurs et les membres de l'équipe", ce qui est "la meilleure chose pour moi", explique Kitano.
- "Pas de pression" -
"Je n'ai pas l'intention de cartonner avec mes films ou de gagner de l'argent à partir de maintenant, donc je ne suis pas ému par quoi que ce soit" concernant Cannes. "Je ne ressens pas de pression", affirme-t-il.
Entamée à la fin des années 1980, alors qu'il était déjà célèbre au Japon comme humoriste et animateur de télévision burlesque sous le pseudonyme de "Beat" Takeshi, sa carrière de réalisateur a révélé un tout autre Kitano, profond, sensible et torturé.
Il se fait repérer à l'étranger à partir de son film "Sonatine" (1993) et remporte le Lion d'Or à la Mostra de Venise en 1997 avec "Hana-bi", détournant à sa façon le genre japonais traditionnel du "yakuza eiga" (films de yakuzas).
Et dans "Zatoïchi" (2003), son plus grand succès commercial à ce jour, il dépoussiérait déjà les films de samouraïs, un autre genre classique japonais.
"Kubi", dans lequel joue par ailleurs Kitano, est ainsi son deuxième film d'époque, et promet une version très crue et personnelle sur un événement central dans l'histoire du Japon mais toujours entouré de mystères: "l'incident du Honno-ji" en 1582, un complot fatal au chef de guerre le plus puissant de l'archipel, Oda Nobunaga.
Production à gros budget pour des standards japonais (1,5 milliard de yens, soit plus de 10 millions d'euros), "Kubi" est aussi le film le plus cher de Kitano à ce jour.
"J'avais envie d'essayer quelque chose à plus grande échelle", explique-t-il, avouant qu'il aurait toutefois souhaité "trois fois plus" de budget et de figurants.
- Faire "ce qu'il me plaît" -
Kitano avait rédigé un synopsis de "Kubi" il y a 30 ans, au tout début de sa carrière de réalisateur. Mais ce n'est qu'après avoir écrit et publié en 2019 un roman éponyme au Japon que la machine pour concrétiser le film s'est enclenchée.
Mais comment s'approprier un genre sublimé par Akira Kurosawa (1910-1998), le grand maître japonais derrière "Les Sept Samouraïs", "Kagemusha" ou "Ran", et dont Kitano est lui-même un fervent admirateur?
"J'ai essayé de ne pas regarder les scènes de bataille dans les films de Kurosawa pour éviter qu'elles m'influencent", explique-t-il. "Je déteste être influencé".
La loyauté, la trahison, les codes d'honneur japonais: on retrouve dans "Kubi" des thèmes chers à Kitano, qui voulait exposer cette période troublée du Japon sous un aspect bien plus sombre, sanglant et intime que dans les productions nippones édulcorées habituelles.
"Je fais juste ce qu'il me plaît (...). Je ne me soucie pas trop de savoir si les spectateurs vont se dire +C'est le style de Takeshi+", dit le réalisateur, qui se "fiche complètement" de son statut de légende du cinéma.
"Je serais très heureux si une oeuvre que j'ai filmée avec détachement recevait de nouveau un bon accueil, mais ça ne veut pas dire que je vais essayer de faire plaisir", lance encore cet éternel libertaire.
S.Ramos--LGdM