A Arles, plongée fluviale sur 2.000 ans d'histoire
Le moteur de la pompe ronronne sur un quai du Rhône, près d'un Zodiac amarré face au centre historique d'Arles. Cinq mètres sous la surface du fleuve, deux plongeurs aspirent les limons déposés par les siècles, à la recherche d'épaves de l'époque romaine.
C'est dans cette même zone, lors de fouilles sous-marines en 2007, qu'avait été retrouvé un des rares bustes de Jules César sculptés de son vivant, un marbre daté de 46 avant J.-C, dont la découverte avait eu un retentissement mondial.
C'est également ici qu'a été renflouée en 2011 l'épave d'un chaland d'une trentaine de mètres de long, datant du milieu du Ier siècle de notre ère et comportant encore sa cargaison de pierres de construction, son mobilier de bord, cuisine de l'équipage comprise et son matériel de navigation.
Ces deux pièces sont les joyaux des collections du "Musée départemental Arles antique" (MDAA) qui dispose de sa propre "cellule subaquatique" et vient de relancer pour un mois une nouvelle campagne de prospection sur le site de cet ancien port romain.
Les plongeurs s'intéressent plus particulièrement à cinq épaves déjà repérées, trois petites chaloupes et deux bâtiments plus importants, dont un pourrait provenir d'Afrique du nord.
"C'est un site exceptionnel, un amoncellement d'épaves avec des bateaux de types extrêmement variés, une diversité qu'on ne trouve nulle part ailleurs de navires qui sillonnaient la Méditerranée," s'enthousiasme Pierre Poveda, archéologue naval au CNRS.
Car Arelate, le nom romain d'Arles, colonie romaine dès le Ier siècle avant notre ère, était un important port fluvial et maritime grâce à sa situation près de l'embouchure du Rhône. En plus de son fameux cirque ou de son théâtre antique, la ville abrite ainsi d'importants vestiges antiques sous les eaux du fleuve.
- Dépotoir d'amphores -
La première semaine de cette nouvelle campagne de recherches a permis de localiser très précisément les épaves, de les baliser et de poser des filins grâce auxquels les plongeurs pourront désormais se repérer. Une opération cruciale puisque les fouilles se déroulent dans des eaux où la visibilité, qui dépasse rarement un mètre, est même descendue à une quarantaine de centimètres après les fortes pluies du week-end.
"En plusieurs années de travail sous-marin sur AR3 (l'identifiant du chaland remonté en 2011), je n'ai pu voir qu'une fois ses deux côtés en même temps, alors qu'il ne fait que trois mètres de large", se rappelle Pierre Poveda, pour illustrer la difficulté des conditions de travail.
Sans compter que les épaves sont prises sous un véritable "dépotoir" de grosses amphores qui étaient jetées une fois leur contenu transvasé dans des contenants plus petits et maniables pour le transport terrestre ou la commercialisation, détaille David Djaoui, archéologue-plongeur du MDAA.
"Dépotoir" d'antiquités auxquelles sont venus s'ajouter des rebuts plus modernes, comme ce chariot de supermarché échoué à côté des vestiges superposés des deux premiers bateaux sur lesquelles travaillent les plongeurs.
L'actuelle campagne doit permettre d'évaluer le potentiel scientifique d'un futur programme de fouilles sur plusieurs années, qui devra obtenir, comme cette période d'évaluation, l'aval du service régional de l'archéologie. Elle est co-dirigée par le CNRS et menée avec la coopération du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines et de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).
"L'objectif n'est pas nécessairement de remonter des objets mais d'améliorer nos connaissances," souligne Romy Wyche, la directrice du MDAA. Ou, comme le dit Jean-Michel Perrin, conseiller départemental délégué à l'archéologie, "on n'est pas ici pour faire de la chasse au trésor, mais du repérage et de l'inventaire".
Pour autant, les eaux troubles du fleuve font toujours rêver les archéologues. "Lors de ces sondages, on n'est pas à l'abri de tomber sur des choses extraordinaires", sourit David Djaoui, à peine remonté de plongée.
A.Munoz--LGdM