La Jordanie veut se faire une place dans l'industrie du jeu vidéo
Pour beaucoup, les jeux vidéo sont une perte de temps devant des écrans où les amateurs passent des heures entières. Mais la Jordanie mise sur sa jeunesse pour se positionner sur ce marché mondial très lucratif.
Au Jordan Gaming Lab, Nasser Kasabreh, 21 ans, s'active derrière son ordinateur pour développer un jeu sur lequel il travaille depuis des mois. Avec deux amis, il a déjà conçu trois jeux vidéo, notamment "Drift Arabs", téléchargé plus de 100.000 fois sur Google Play.
"Notre ambition est encore plus grande", confie le jeune homme.
Fondé en 2011, le Jordan Gaming Lab vise à accompagner les jeunes dans le développement et la conception de jeux vidéo.
Soutenu par le Fonds du roi Abdallah II pour le développement, il fournit équipements et des cours gratuits, couvrant tous les aspects de l'industrie du jeu vidéo, de la conception à la production, en passant par le marketing. Le budget alloué au laboratoire n'a pas été divulgué.
Plus de 10.000 jeunes ont bénéficié d'une formation, tandis que la Jordanie cherche à conquérir des parts d'un marché estimé à 300 milliards de dollars, selon le cabinet de conseil Accenture.
Selon les projections, le marché continuera de croître avec le développement du "cloud gaming", encore à ses balbutiements, et l'émergence de la réalité virtuelle.
- Déconstruire les stéréotypes -
La moitié de la population jordanienne a moins de 25 ans et le taux de chômage avoisine les 23% dans le pays, selon la Banque mondiale.
"Ce laboratoire a complètement changé l'idée que la société se faisait des jeux numériques. Il y a vingt ans, j'avais du mal à convaincre les jeunes ou leurs parents de l'importance de créer ces jeux. Aujourd'hui, c'est totalement différent", déclare à l'AFP Nour Khrais, entrepreneur et partenaire technique du laboratoire.
Les créateurs locaux doivent composer avec une question de stéréotypes. "Les jeux mondiaux dépeignent souvent les Arabes dans des rôles maléfiques ou négatifs. Nos jeunes développent des jeux pour changer cette représentation", raconte M. Khrais.
Les jeux mobiles affichent une croissance fulgurante, et parmi ceux produits dans la région, la Jordanie en génère plus de la moitié, ajoute-t-il.
"La Jordanie est aujourd'hui le pays le plus expérimenté dans le domaine des jeux vidéo au Moyen-Orient", affirme Hussein Bino, coordinateur du laboratoire.
Plus de 12 sociétés de développement de jeux sont actives en Jordanie, parmi lesquels le premier studio de jeux mobiles, Maysalward, a été fondé il y a 20 ans par M. Khrais. Ce studio propose plus de 100 jeux sur l'Apple Store et Google Play.
La plupart de ces éditeurs ont établi des partenariats avec des acteurs majeurs de l'industrie, affirme l'entrepreneur, ajoutant que des pays arabes avaient "investi des dizaines de millions de dollars dans notre marché très dynamique".
Il existe même un syndicat jordanien comptant 10.000 membres et un service de bus pour "atteindre les jeunes dans les zones reculées", précise celui qui s'est vu récemment décerner le titre de "Mobile Legend" lors des Mobile Games Award de 2023 à Londres.
- "Croissance" -
M. Khrais insiste sur la dimension économique des jeux vidéos: "Nous parlons d'une technologie aux revenus colossaux, dépassant les 220 milliards de dollars dans le monde et environ 8 milliards de dollars dans le monde arabe".
Yousef Alrayyan, âgé de 18 ans et passionné de jeux d'action comme "Call of Duty", vient de terminer le lycée et envisage de poursuivre des études en informatique et intelligence artificielle.
"Avant, mes parents considéraient les jeux comme une perte de temps, mais les choses ont changé. Ils m'encouragent aujourd'hui et me disent qu'il s'agit d'un secteur important, à l'instar de l'intelligence artificielle, qui a un grand avenir", dit-il.
Selon M. Bino, le coordinateur du laboratoire, les recettes mondiales des jeux dépassent désormais celles de l'industrie cinématographique: "Nous souhaitons tirer profit de cette croissance."
R.Andazola--LGdM