Affaire LVMH: prison avec sursis requise contre l'ex-patron du renseignement Bernard Squarcini
Un "haut fonctionnaire émérite" coupable selon l'accusation de "faits extrêmement graves": le parquet a requis jeudi soir quatre ans de prison avec sursis contre l'ex-patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini, soupçonné notamment de trafic d'influence au profit du groupe de luxe LVMH.
Le contraste était saisissant: douze heures plus tôt, la vaste salle d'audience du tribunal correctionnel de Paris était pleine d'un public nombreux venu assister à l'audition du milliardaire Bernard Arnault, cité comme témoin par les avocats du député François Ruffin, partie civile. A 21H00, quand ont résonné les réquisitions, la salle était presque vide, la nuit entamée.
Bernard Squarcini, 68 ans, qui a dirigé la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue DGSI) entre 2008 et 2012, est un "haut fonctionnaire émérite, poursuivi devant vous pour des faits extrêmement graves", a estimé le procureur Hervé Tétier, qui a demandé à son encontre 5 ans d'interdiction professionnelle avec exécution provisoire et 5 ans d'interdiction de toute fonction publique.
Une amende de 300.000 euros a également été demandée.
Le représentant du ministère public a notamment requis la condamnation de Bernard Squarcini et de quatre de ses coprévenus pour avoir réalisé une rocambolesque opération de surveillance de François Ruffin et du journal Fakir, entre 2013 et 2016, pour le compte de LVMH.
A l'époque, celui qui était alors journaliste tournait le film "Merci patron !" et prévoyait d'interpeller Bernard Arnault lors des assemblées générales du groupe de luxe. Bernard Squarcini venait de passer dans le privé.
"Je suis frappé par l'amnésie générale qui semble avoir atteint un grand nombre des prévenus" dans ce volet, a déclaré le procureur, pour qui il existe des "éléments objectifs" - interceptions de conversations téléphoniques, SMS, mails, rapports, trombinoscopes - qui établissent une "surveillance" et une "infiltration" de Fakir par deux personnes, avec une "collecte frauduleuse de données personnelles".
Plus largement, le magistrat a estimé que Bernard Squarcini devait être reconnu coupable d'une dizaine d'infractions. Car pour le parquetier, il a bien indûment missionné des agents de la DCRI en 2008 afin de débusquer un homme qui voulait faire chanter Bernard Arnault ; mais aussi obtenu des informations couvertes par le secret auprès de policiers, notamment sur l'affaire Cahuzac, sur une plainte d'Hermès contre Vuitton et sur l'assassinat de l'avocat corse Antoine Sollacaro ; ou encore appuyé frauduleusement l'octroi de documents administratifs et facilité des procédures de passeports et visas...
"Il apparaît clairement" que le contrat de 2,2 millions d'euros liant sa société baptisée Kyrnos et LVMH "était prévu pour rémunérer autre chose que les compétences de Bernard Squarcini en termes de renseignement, le +autre chose+ étant le trafic d'influence", a appuyé le procureur.
- "dealers de cité" -
Dans cette affaire à tiroirs, Hervé Tétier a réclamé contre neuf autres hommes des peines allant de quatre mois à deux ans de prison avec sursis, assorties selon les cas d'amendes allant jusqu'à 100.000 euros et d'interdictions professionnelles.
"Le ministère public trouve véritablement triste d'avoir de hauts fonctionnaires de l'Etat devant vous et d'avoir, pendant 10 jours d'audience, des discussions (...) pratiquement de dealers de cité", a-t-il tancé, faisant référence à la défense des prévenus qui contestent dans l'immense majorité avoir commis une quelconque infraction.
Avant lui, Me Benjamin Sarfati, l'avocat du député de la Somme, a interpellé le tribunal sur ce procès "exemplaire", "car au-delà de François Ruffin, ce sont les valeurs fondamentales de notre République, au premier chef la liberté d'opinion, qui sont aujourd'hui menacées comme jamais par des firmes richissimes et surtout excessivement puissantes".
Avec l'emploi d'"officines véreuses payées des sommes folles, LVMH considère (que) toute contestation procède d'une déstabilisation, nécessairement violente, radicalisée, d'ultragauche (...) Penser autrement, c'est un délit, c'est la seule façon de comprendre cela", a poursuivi l'avocat du député.
Me Sarfati a de nouveau pilonné la Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) signée en 2021 par LVMH pour éviter des poursuites dans cette affaire, affirmant que Bernard Arnault était "évidemment au courant" de la surveillance de Fakir.
"Absolument pas", a répété dans la matinée le milliardaire, entendu pendant l'instruction mais jamais mis en examen ni renvoyé devant le tribunal. Il a accusé François Ruffin, en perdant son calme, "d'instrumentaliser" le procès "pour des raisons personnelles, médiatiques, politiques, voire mêmes commerciales".
La défense doit plaider vendredi. La décision sera mise en délibéré à plusieurs semaines.
A.M. de Leon--LGdM