La psychanalyse aide-t-elle encore à soigner ?
Elle bénéficie d'une vaste aura médiatique mais la psychanalyse n'a pourtant plus qu'une petite place dans la pratique des psychiatres. Certains lui reconnaissent toutefois un intérêt pour aider à soigner des troubles mentaux bien précis.
"Il y a une résonance médiatique des interventions de psychanalystes qui donnent un avis sur des problèmes de société", résume à l'AFP le psychiatre français Pierre-Michel Llorca.
Or, ces positions sont "à distance de la pratique clinique", ce qui "cause beaucoup de confusion" au grand public, estime-t-il.
Certes, les psychanalystes n'ont plus l'omniprésence intellectuelle et médiatique qu'ils avaient acquis en France dans les années 1960 ou 1970, quand de grandes figures comme Jacques Lacan ou François Dolto renouvelaient les thèses héritées de Sigmund Freud.
Mais leur place est toujours conséquente. En témoigne, dans la foulée de l'énorme succès de la série télévisée "En Thérapie" (sur Arte), l'écho accordé cette rentrée à deux psychanalystes --Claude Halmos et Juan-David Nasio-- par deux grands médias, le quotidien Le Monde et la radio France Inter.
Pourtant, "la pratique psychanalytique n'est plus enseignée du tout, ou de façon marginale, dans les cursus psychiatriques", remarque Pierre-Michel Llorca.
Cette désaffection est la conséquence d'un grand tournant scientifique et médical, que l'on peut globalement dater de la fin du XXe siècle. De nombreuses études ont alors mis en évidence l'intérêt d'une autre catégorie de thérapies, dites "cognitivo-comportementales" (TCC).
- Vague de critiques -
Ces thérapies se concentrent sur des techniques par lesquelles le patient peut réduire ses anxiétés ou autres blocages, tandis que les approches psychanalytiques obéissent à une autre stratégie, qui met l'accent sur la compréhension de ressorts psychologiques enfouis.
Le succès scientifique des TCC s'est, par ailleurs, accompagné d'une vague de critiques sur la psychanalyse, que ce soit sur la faiblesse de ses fondements théoriques ou sur ses approches thérapeutiques parfois désastreuses, en particulier face aux enfants autistes.
En 2019, encore, plusieurs psychologues et psychiatres appelaient à ne plus accepter des psychanalystes parmi les experts judiciaires.
La psychanalyse obéit à des "dogmes idéologiques, fondés sur des postulats obscurantistes et discriminants sans aucune validation scientifique", jugeaient les signataires.
La réalité est-elle si tranchée ? La littérature scientifique des 10 ou 15 dernières années n'est pas explicite quant à une absence totale d'intérêt thérapeutique des approches psychanalytiques, aussi qualifiées de "psychodynamiques" dans le monde anglo-saxon.
Plusieurs méta-analyses --des travaux qui compilent et pondèrent d'autres études pour donner un tableau le plus solide possible de l'état des connaissances--, publiées dans des revues de référence, divergent dans leurs conclusions.
"Les preuves de l'efficacité des thérapies psychanalytiques de long terme sont limitées et, au mieux, contradictoires", résumait l'une en 2012 dans la Clinical Psychological Review. Une autre concluait en 2017, dans l'American Journal of Psychatry, que "la thérapie psychodynamique est équivalente aux traitements dont l'efficacité est avérée".
- Démarche volontaire -
Ces résultats discordants ont systématiquement donné lieu à de vifs débats sur leur méthodologie, témoignant de la difficulté d'évaluer scientifiquement l'efficacité des psychothérapies, par contraste avec des médicaments facilement comparables à des placebos.
Cette difficulté est mise en avant par plusieurs psychiatres avec qui l'AFP s'est entretenue, dont Pierre-Michel Llorca. Ils tendent à accepter les approches psychanalytiques, mais dans une minorité de cas.
"Il y a vraiment très peu d'indications" où la psychanalyse aurait clairement un intérêt supérieur à d'autres thérapies, estime ainsi la psychiatre flamande Livia de Picker.
La psychanalyse, qui suppose une démarche volontaire de la part du patient, apparaît notamment inadéquate face à des troubles psychotiques, telle la schizophrénie, dans lequel leur discernement est affecté.
Elle est aussi probablement moins adaptée que les TCC face aux troubles anxieux ou phobiques, dans lesquels le patient a tout à perdre à creuser des pensées déjà obsédantes et parasites.
Que reste-t-il, alors ? Livia de Picker, favorable à la possibilité de s'inspirer de plusieurs types de thérapies, cite certains troubles de la personnalité --narcissique, antisocial...-- qui se définissent par une difficulté à contenir ou gérer ses émotions.
"Chez les patients qui, à cause de leur personnalité ou de traumatismes remontant loin dans leur vie, ont du mal à entretenir des relations satisfaisantes, (...) ça peut être utile de recourir à une thérapie qui ne touche pas seulement à la surface", avance-t-elle.
A.M. de Leon--LGdM