A la centrale nucléaire de Gravelines, une nouvelle digue pour parer la montée des eaux
Un barrage contre la mer du Nord: à Gravelines, la plus grande centrale nucléaire française finalise un long rempart pour se protéger contre les risques "extrêmes" d'inondation, des travaux "post-Fukushima" menés dans une zone exposée à la montée des océans liée au changement climatique.
Les cris des mouettes retentissent au-dessus des ouvriers, un phoque nage dans le canal qui amène l'eau de mer à la centrale. Derrière un cordon dunaire, la mer du Nord ne se trouve qu'à quelques centaines de mètres.
Avec ses six réacteurs mis en service entre 1980 et 1985, d'une puissance totale de 5.400 MW, Gravelines est déjà la plus grande centrale nucléaire d'Europe de l'Ouest et pourrait accueillir deux réacteurs de nouvelle génération EPR au cours des prochaines décennies.
Une grue dépose sur une barge des panneaux en acier longs de 5,20 mètres qui seront fixés à la paroi intérieure du canal. Sur 1,5 km, 1.750 de ces "palplanches" viendront protéger la centrale côté mer.
Côté terre, une digue de 4 mètres de hauteur en argile, roches et terre fait la jonction entre des murs incluant des portails étanches, et complète le dispositif de "protection périphérique contre l'inondation".
Déjà protégée côté Est des cuves de carburant de Total qui la jouxtent parune dune artificielle pare-feu, la centrale se retrouvera entièrement encerclée face au risque de montée du niveau de la mer accentué par une tempête.
- Protection à hauteur de 7,48 m -
Entamés en 2020 pour un investissement de 35 millions d'euros, les travaux doivent s'achever à l'automne.
"La centrale est déjà sûre, le risque d'inondation est déjà pris en compte mais pas avec un niveau extrême", explique son directeur Emmanuel Villard.
La nouvelle protection a été conçue en imaginant "une marée d'un coefficient de 120, majorée d'une surcote millénale, augmentée d'un coefficient de sécurité de 50 cm, auquel on a rajouté encore un mètre de protection contre le vent et les clapots", précise-t-il.
Aujourd'hui protégée contre "une augmentation d'un peu plus de 6 mètres par rapport au niveau statique de la mer", la centrale le sera à hauteur de 7,48 mètres grâce à ces travaux "post-Fukushima".
L'ouvrage a été pensé "en prenant en compte des phénomènes encore jamais constatés sur le territoire", souligne EDF.
A Fukushima, les systèmes de refroidissement étaient tombés en panne quand le tsunami avait inondé les générateurs de secours, provoquant la fusion des coeurs des réacteurs.
- "Muraille de Chine" -
La centrale de Gravelines est installée dans le delta de l'Aa, une zone de polder, gagnée sur la mer et les marais au Moyen-Age et dotée d'un réseau de canaux, les wateringues, chargés d'évacuer l'eau vers la mer, et de stations de pompage.
"S'il y a vraiment une forte inondation, la centrale sera isolée. EDF nous dit toujours qu'il y aura la FARN (force d'action rapide nucléaire, également créée après Fukushima, NDLR), mais pour relever les équipes, ça ne va pas être simple", souligne Nicolas Fournier, président de l'Assemblée de Défense de l'Environnement du Littoral Flandre-Artois.
Pour Paulo-Serge Lopes, président de Virage Energie, association du réseau Sortir du nucléaire, la construction d'une "muraille de Chine" autour de la centrale ne règle pas tout: "Les dysfonctionnements se trouvent d'abord en son sein: le vieillissement des réacteurs, les questions de maintenance et d'entretien au long cours..."
Une carte de l'observatoire régional du climat montre qu'une hausse d'un mètre du niveau de la mer ferait passer sous les eaux la quasi-totalité du delta, zone par ailleurs très dense en sites Seveso à seuil haut.
Selon le dernier rapport des experts climat de l'ONU (Giec), si les émissions responsables du changement climatique continuent à augmenter, la hausse du niveau des océans pourrait atteindre 60 à 110 cm d'ici 2100.
"Cette digue a pour objectif de protéger la centrale de Gravelines telle qu'elle est aujourd'hui", insiste son directeur, alors qu'EDF estime à 60 ans la durée d'exploitation des nouveaux EPR annoncés par le président Emmanuel Macron. Pour les EPR, "ces calculs, avec les hypothèses extrêmes, seront pris en compte dès la conception".
H.Jimenez--LGdM