Maintenir les activités sans écorner leur image, le pari des enseignes françaises en Russie
Malgré les pressions et les appels au retrait, plusieurs grands noms de l'économie française comme Auchan, Leroy Merlin ou Société Générale poursuivent pour l'heure leur activité en Russie, faisant le pari que leur image n'en souffrira pas.
Drôle de contraste: une semaine après que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé à Auchan ou Leroy Merlin de quitter la Russie, suscitant la polémique en France, le cabinet EY-Parthenon annonçait que le spécialiste du bricolage était l'enseigne la mieux aimée des Français sur l'année écoulée, comme lors de son précédent classement.
Les 9.500 consommateurs interrogés dans ce classement annuel l'ont toutefois été en janvier, avant le déclenchement de l'invasion russe en Ukraine le 24 février. Sollicité par l'AFP sur son impact éventuel sur le prochain classement, EY-Parthenon n'a pas souhaité faire de commentaire.
Cela n'en pose pas moins la question du coût en terme d'image et de réputation pour les groupes qui restent en Russie.
"Le dilemme est conséquent pour la famille Mulliez et sans remède miracle à court terme", estimait récemment Adrien Guerin, analyste chez Scope Ratings. Rester en Russie pourrait "entacher la réputation" des enseignes "dans d'autres pays", jusqu'au "boycott".
- "Aucun calcul" -
Plus largement, "au-delà du préjudice financier qui est évident, il y a bien un risque réputationnel", même s'il est très difficile à évaluer en l'état, confirme Bertrand Chovet, directeur général France du cabinet spécialisé en évaluation de marque Brand Finance.
En moyenne, détaille-t-il, "les scores de réputation sont plus faibles pour les banques ou les télécoms que pour les cosmétiques, les aliments ou pour la distribution". L'impact peut être de ce fait plus rude pour les entreprises qui ont la meilleure image.
Pour autant, "les gens comprennent aussi qu'il y a des salariés, un écosystème sur des biens essentiels particulièrement sur l'alimentaire... L'impact sur la réputation des enseignes est là, mais il pourrait aussi y avoir des critiques dans le cas où les enseignes abandonneraient leurs salariés" russes, estime-t-il.
Les enseignes de la galaxie Mulliez sont d'importants employeurs au pays de Vladimir Poutine, 45.000 collaborateurs et 113 magasins pour Leroy Merlin, 30.000 collaborateurs et 232 magasins pour Auchan, 2.500 salariés et 60 magasins pour Decathlon - ces derniers ont toutefois fermé leurs portes, faute d'approvisionnement.
Une source proche de Leroy Merlin, interrogée sur le risque du maintien de l'activité en Russie pour l'image du groupe, estime que "la décision ne s'arbitre pas comme ça, mais en fonction de ces 45.000 collaborateurs". Si l'enseigne est, selon cette source, "attentive à ce qui se dit, il n'y a eu aucun calcul sur l'impact en terme d'image" de sa décision de rester en Russie.
Une source proche du groupe Auchan estime de son côté que le distributeur alimentaire "se fout du risque réputationnel", que son sujet est "d'arriver à faire son métier" en nourrissant les populations russes et ukrainiennes.
Ni Leroy Merlin ni Auchan n'ont souhaité faire de commentaire sur ce sujet.
Les deux sources précédemment citées estiment que l'appel au boycott, lancé notamment par le ministre des Affaires étrangères ukrainien concernant Auchan, n'a qu'un impact très limité.
Selon un bon connaisseur de la grande distribution ayant requis l'anonymat, les appels au boycott sont rarement entendus dans ce secteur: "c'est une activité d'habitudes, il est beaucoup plus dur d'aller faire ses courses ailleurs que de se passer d'une marque ou un produit", auquel on pourra relativement facilement substituer une autre marque par exemple.
P.Ortega--LGdM