Elections en Thaïlande: la pollution de l'air s'invite avec fracas dans la campagne
En Thaïlande, un énième épisode sévère de pollution atmosphérique a rattrapé les partis politiques en campagne pour les élections législatives de dimanche, forcés de développer leurs idées pour lutter contre ce problème de santé publique majeur pour le royaume.
Entre février et avril, en pleine saison sèche, les habitants ont étouffé de longues semaines sous un air toxique, en particulier dans les villes du Nord et à Bangkok, provoquant plusieurs millions de visites à l'hôpital pour des problèmes respiratoires.
En cause, les fumées dangereuses provenant de multiples feux de forêt, et une pratique très répandue et pourtant interdite: le brûlage des chaumes par les agriculteurs.
Dans la capitale, un petit groupe d'écologistes arpente les rues chauffées par le béton à la rencontre d'électeurs bien souvent fatalistes.
"Les gens sont conscients des problèmes environnementaux, mais ils n'espèrent rien des politiciens pour les résoudre", déclare à l'AFP Phongsa Choonaem, dirigeant et fondateur du parti vert.
Mais "la communication est meilleure", remarque-t-il, distribuant de grandes feuilles d'arbre en guise de tract.
- Vulnérabilité -
La Thaïlande, et plus largement l'Asie du Sud-Est, fait partie des régions du monde les plus vulnérables au changement climatique.
Le parti vert, qui a obtenu moins d'un pour cent lors des législatives de 2019, ne présente qu'une poignée de candidats, alors que 500 sièges de députés sont en jeu.
"Notre but n'est pas de viser le poste de Premier ministre, mais de résoudre le problème de l'environnement", assure M. Phongsa.
Pour deux tiers des Thaïlandais, le changement climatique ne fait pas partie des priorités des partis politiques, selon une étude publiée fin 2022.
"La question de la pollution est assez importante à l'échelle mondiale, mais je pense que le problème le plus important en Thaïlande n'est pas seulement la pollution", estime Wittida Payormyong, une électrice de 36 ans.
Selon elle, la gouvernance, l'économie et l'inflation sont plus importants.
"C'est là-dessus que la jeune génération veut faire entendre sa voix", ajoute-t-elle.
Les élections thaïlandaises voient s'affronter un camp réformiste, avec Pheu Thai et Move Forward ("Aller de l'avant"), et leurs adversaires conservateurs pro-armée, incarnés par le Premier ministre sortant Prayut Chan-O-Cha, arrivé au pouvoir en 2014 à la suite d'un coup d'Etat.
Dans l'opposition, le parti le plus radical, Move Forward, propose de réduire les émissions de carbone, via des subventions aux agriculteurs et la promotion des voitures électriques, tandis que Pheu Thai s'est engagé à mettre fin au brûlis dans un délai d'un an.
Ces derniers, en tête dans les sondages, soutiennent également une version d'un projet de loi sur la qualité de l'air, proposée par un groupe de réflexion citoyen, le Clean Air Network (CAN).
- "Une crise de santé publique" -
Plusieurs partis de la coalition sortante ont également assuré qu'ils soutenaient cette loi.
La qualité de l'air est "une véritable crise de santé publique", a déclaré Weenarin Lulitanonda, du CAN, pour qui nombre de promesses électorales restent "floues".
Militante de longue date, elle se dit encouragée par le "vent de changement" mais attend de voir si une fois au pouvoir, les partis "joindront le geste à la parole" pour faire voter une loi.
Le clientélisme sur lequel repose la politique thaïlandaise empêche tout changement réel, estime Danny Marks, professeur assistant de politique environnementale à la Dublin City University.
Selon lui, derrière les petits agriculteurs à qui on fait porter le chapeau, il y a de puissantes entreprises agro-alimentaires.
"Ceux qui profitent essentiellement du fait que tout le monde respire de l'air vicié sont malheureusement ceux qui sont assez proches du gouvernement", a déclaré M. Marks.
Les grands partis, même Pheu Thai, ont "toujours été alliés aux grandes entreprises".
Pour Rungsrit Kanjanavanit, cardiologue à Chiang Mai (nord), la classe politique "ne prend pas les choses suffisamment au sérieux".
"Les décideurs doivent comprendre les données scientifiques et réaliser l'importance de la question, puis s'y atteler et avoir la volonté politique de s'attaquer au problème", a-t-il déclaré.
"Les gens ont beaucoup crié, beaucoup hurlé, alors ils commencent à nous entendre."
L.Flores--LGdM