Guinée : l'ex-dictateur Camara condamné à 20 ans de prison pour crime contre l'humanité
L'ex-dictateur Moussa Dadis Camara a été condamné mercredi à vingt ans d'emprisonnement pour crimes contre l'humanité, pour sa responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009 en Guinée.
Sept autres accusés ont aussi été condamnés à des peines s'élevant jusqu'à la prison à perpétuité à l'issue d'un procès historique qui a duré près de deux ans.
Le 28 septembre 2009, au moins 156 personnes ont été tuées, par balle, au couteau, à la machette ou à la baïonnette, et des centaines blessées, dans la répression d'un rassemblement de l'opposition dans un stade de Conakry et ses environs, selon le rapport d'une commission d'enquête internationale mandatée par l'ONU. Au moins 109 femmes ont été violées.
Les exactions ont continué plusieurs jours contre des femmes séquestrées et des détenus torturés dans ce qui est considéré comme l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire contemporaine de la Guinée. Et les chiffres réels sont probablement plus élevés.
"Il convient de déclarer Moussa Dadis Camara coupable de crimes contre l’humanité sur la base de la responsabilité du supérieur hiérarchique", a déclaré Ibrahima Sory II Tounkara, le président du tribunal. Il a aussi été reconnu coupable pour "son intention de réprimer la manifestation" et pour avoir manqué à son devoir de sanctions contre les auteurs du massacre.
L'ex-dictateur répondait d'une litanie de crimes d'assassinats, violences sexuelles, actes de torture, enlèvements et séquestrations. Il encourait la perpétuité.
Dans la salle du tribunal de Conakry où les forces de sécurité avaient été déployées massivement, dix des douze accusés étaient présents à la lecture du verdict, dont l'ex-chef de la junte, en boubou jaune et vert, qui est resté impassible à l'annonce de la décision.
Le tribunal a décidé de requalifier les faits en crimes contre l'humanité après la saisine en ce sens des avocats des victimes pendant le procès.
- Réparations -
Il a aussi annoncé des réparations pour les victimes, allant de 200 millions de francs guinéens (plus de 20.000 euros) à 1,5 milliard de francs guinéens (plus de 160.000 euros), selon les cas.
"Ce procès est d'une importance capitale pour moi. Je souhaite que ces militaires paient le prix fort avec des condamnations à la hauteur de leur forfaiture", avait déclaré à l'AFP, avant le verdict, Kadiatou Sow, qui dit avoir été violée dans le stade et les jours qui ont suivi, et avoir perdu son époux, dont le corps n'a jamais été retrouvé.
Le procès, ouvert à la date anniversaire du 28 septembre 2022, a passionné les Guinéens. Il a été diffusé quotidiennement à la télévision guinéenne et sur Youtube.
Les accusés et les parties civiles ont le droit de faire appel dans un délai de 15 jours. Le parquet a deux mois pour faire appel.
"Ce verdict constitue un moment de vérité tant attendu pour les victimes et leurs familles", a déclaré Tamara Aburamadan, conseillère juridique auprès du programme Justice internationale de Human Rights Watch.
Les victimes ont longtemps réclamé un procès, jusqu'à finir par douter de sa tenue. Les choses se sont accélérées en juillet 2022 lorsque le colonel Mamadi Doumbouya, lui-même porté au pouvoir par un putsch en septembre 2021, a demandé qu'il ait lieu la même année pour la date anniversaire des faits.
Il s'est tenu dans un contexte de répressions vis-à-vis de l'opposition et des médias. Mardi et mercredi, des manifestations ont paralysé une partie de Conakry et fait des blessés pour protester contre la "disparition forcée" d'Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah, deux responsables du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un mouvement citoyen qui réclame le retour des civils au pouvoir en Guinée. Les autorités nient toute arrestation et disent n'avoir aucune nouvelle des deux hommes.
Les partenaires internationaux et les défenseurs des droits humains ont souligné le caractère historique de ce procès, le premier du genre dans un pays dirigé pendant des décennies par des régimes autoritaires, où l'impunité de forces de sécurité quasiment intouchables a été érigée en "institution", selon la commission d'enquête internationale.
L.A. Beltran--LGdM