Chaos et célébrations après le renversement de la Première ministre au Bangladesh
Corps ensanglantés, foules de Bangladais incendiant des chaînes de télévision, manifestants se prélassant dans les lits de la résidence de la Première ministre: des témoins ont décrit des scènes de chaos après la fuite lundi de la dirigeante et la prise de pouvoir par l'armée.
La chute de Sheikh Hasina après 15 ans au pouvoir était un événement à célébrer pour certains protestataires, montés sur le toit de sa résidence officielle pour y agiter des drapeaux après sa fuite à l'étranger en hélicoptère.
"Je n'arrive pas à exprimer mes sentiments en mots, je suis tellement heureux", s'est extasié Mohammad Bashir, 35 ans, un des millions de Bangladais descendus dans les rues lorsque le chef de l'armée a déclaré qu'il formait un gouvernement intérimaire. "Mon seul souhait désormais est de prendre soin de toutes les familles des gens et des étudiants tués, et de rendre la justice".
Les réseaux sociaux étaient inondés de messages de personnes se souhaitant: "Joyeuse journée de l'indépendance".
Mais dans les couloirs de l'hôpital universitaire de Dacca, un journaliste de l'AFP a vu des corps étendus dans des flaques de sang. Au moins 66 personnes ont été tuées lundi, après un mois de manifestations meurtrières qui ont fait au moins 366 morts.
Parmi les 44 corps comptés à l'hôpital, la plupart étaient des jeunes hommes, présentant quasiment tous des blessures par balles.
La police a indiqué que plusieurs agents avaient également été tués.
- "Libéré" -
La foule en colère s'est vengée de la dirigeante déchue. Certains ont détruit des statues du père de Sheikh Hasina, Sheikh Mujibur Rahman, le père de l'indépendance du pays après sa séparation du Pakistan en 1971.
Un musée consacré à Sheikh Mujibur Rahman a également été incendié. La vision des flammes léchant ses portraits était impensable à peine quelques heures plus tôt, lorsque Mme Hasina disposait toujours de la loyauté des forces de sécurité pour maintenir son régime autocratique.
Les bureaux de la Ligue Awami, le parti de Mme Hasina, ont été incendiés et pillés à travers le pays, selon plusieurs témoins.
Des centaines de personnes ont envahi le parlement. Les télévisions ont montré des protestataires applaudissant frénétiquement, sautant sur des tables et déclenchant ce qui ressemblait à des fumigènes.
Sazid Ahnaf, 21 ans, est descendu dans la rue à Dacca pour fêter ce "moment de fierté".
"Je me sens tellement heureux que notre pays soit libéré", confie-t-il, comparant les événements actuels à la guerre d'indépendance contre le Pakistan. "Nous avons été libérés d'une dictature. C'est un soulèvement des Bengalis, ce que nous avons vus en 1971 (lors de la déclaration d'indépendance) et que nous voyons maintenant en 2024".
Ce qui avait commencé comme un mouvement étudiant contre un système réservant un quota d'emplois publics aux familles des vétérans de l'indépendance, sur fond de chômage aigu des diplômés, a évolué en des rassemblements de masse demandant le départ de Mme Hasina.
- Palais envahi -
Un objectif symbolique pour les manifestants était la résidence officielle de l'ex-Première ministre, revenue au pouvoir en 2009 après un premier mandat entre 1996 et 2001.
La télévision a montrés les protestataires riant alors qu'ils exploraient le palais tentaculaire situé au coeur de la capitale, se couchant dans les lits de la résidence et embarquant meubles, livres et télévisions.
La cuisine a été pillée, la foule dévorant joyeusement la nourriture qui s'y trouvait. Même les poissons d'ornement des vastes jardins ont été pêchés au filet, certains brandissant ceux qu'ils ont attrapés devant les caméras.
D'autres prenaient la pose avec les animaux trouvés dans la résidence de l'ex-Première ministre, dont des lapins et des chèvres.
Là aussi, des peintures murales et des statues du père de Mme Hasina ont été dégradées ou détruites à coups de marteau.
L'armée a annoncé être aux commandes, mais de nombreux policiers, qui ont souvent participé à la répression des manifestations en juillet, craignent des représailles.
"De nombreux postes de police ont été attaqués, plusieurs policiers ont été tués", a expliqué un haut grade de la police sous couvert d'anonymat. "C'est la loi de la foule".
A.Munoz--LGdM