Verdict historique contre un ex-agent de la Stasi est-allemande
La justice allemande rend lundi un jugement très attendu contre un ancien agent de la Stasi, la police politique de la RDA communiste, aujourd'hui disparue, accusé du meurtre d'un Polonais qui voulait fuir à l'ouest il y a 50 ans.
Si Martin Naumann, 80 ans, est reconnu coupable, il s'agira de la première condamnation pour meurtre d'un officier de la Stasi, 35 ans après la chute du mur de Berlin.
Ce procès, enregistré en raison de sa valeur historique, a replongé depuis son lancement en mars le pays au temps de la Guerre froide, période durant laquelle l'Allemagne fut scindée en deux par le Rideau de fer entre RFA à l'ouest et RDA à l'Est.
Il est l'aboutissement de décennies d'enquête laborieuse, parfois abandonnée puis rouverte, également côté polonais.
Le parquet allemand a requis 12 ans de prison contre l'ancien lieutenant, aujourd'hui retraité. Il est accusé d'avoir tiré dans le dos du Polonais de 38 ans au poste frontière de la gare de Friedrichstrasse, point de passage jusqu'à fin 1989 entre l'ouest de Berlin et l'est communiste.
L'intéressé a rejeté l'accusation par la voix de ses avocats. Mais il ne s'est jamais exprimé devant les juges.
- Fausse bombe -
Même si la procureure générale Henrike Hillmann a reconnu qu'il avait exécuté un ordre, l'accusé, 31 ans à l'époque, a pour elle clairement agi avec l'intention de tuer alors qu'il aurait pu blesser le fugitif.
Et il a profité de l'état de vulnérabilité de sa victime qui se croyait à ce moment-là en sécurité, ce qui justifie à ses yeux son inculpation pour "meurtre", chef d'accusation non soumis à la prescription.
Czeslaw Kukuczka, qui rêvait d'une vie dans le "monde libre", est l'une des 140 personnes au moins qui ont trouvé la mort entre 1961 et 1989 en voulant franchir le mur.
Le 29 mars 1974, il fait irruption à l'ambassade polonaise de l'ancien Berlin-Est avec une fausse bombe pour forcer son départ vers l'Ouest.
Alertée par la Pologne, la police secrète allemande lui fait alors croire que sa sortie a été acceptée. Mais au moment où l'homme pense avoir réussi à franchir deux contrôles, l'agent Naumann l'abat, un acte qui lui a valu plus tard d'être décoré.
Employé d'une entreprise du BTP, Czeslaw Kukuczka avait trois enfants qui se sont constitués partie civile mais n'assistent pas au procès.
L'avocat de sa fille, Hans-Jürgen Förster, qui considère l'accusé comme "le dernier maillon d'une chaîne de commandement", a déposé une requête pour que l'enquête soit élargie à toutes les personnes décorées par le régime pour la mort de M. Kukuczka.
L'avocate de la défense, Andrea Liebscher, conteste elle que son client ait été le tireur.
- "Grande signification" -
Si M. Naumann est condamné, il sera le premier ancien agent de la Stasi à être reconnu coupable de meurtre, indique à l'AFP Daniela Münkel, une responsable des archives de la police secrète à Berlin.
Cela aurait une "grande signification symbolique" dans les efforts de l'Allemagne pour faire payer les injustices de la dictature communiste de la RDA, a jugé l'historienne.
Au contraire, son acquittement refermerait probablement définitivement le chapitre de leur traitement juridique, selon elle.
Au cours des années 1990, 251 personnes au total ont été accusées de crimes commis pour le compte de la Stasi, selon les archives du gouvernement.
Les deux tiers d'entre elles, dont de nombreux exécutants tels que les gardes-frontières, ont été acquittés ou les poursuites à leur encontre abandonnées. Seules 87 ont été condamnées, la plupart à des peines légères.
Même Erich Mielke n'avait pas été condamné pour ses activités à la tête de la Stasi de 1957 à 1989, faute de charges suffisantes. Il s'était toutefois vu infliger six ans de prison le 26 octobre 1993 pour le meurtre de deux policiers en 1931 quand il était un jeune militant communiste.
L.A. Beltran--LGdM