Eco-anxiété: les leçons des Inuits
Depuis des années, les Inuits de Rigolet (nord-est du Canada) voient leur environnement en lisière de l'Arctique modifié par le changement climatique, les obligeant, dans l'angoisse, à repenser un mode de vie séculaire.
Le changement climatique "affecte votre façon de vivre, ce que vous faites avec vos enfants, la santé mentale des gens", constate Marilyn Baikie, professionnelle de santé dans le petit village côtier et reculé de 300 habitants.
Par le passé, les gens pouvaient se déplacer sur les eaux gelées jusqu'au printemps pour pêcher ou passer du temps en pleine nature, partie intégrante de leur culture.
Mais cette région du Canada appartient aux zones où le climat se réchauffe le plus vite sur Terre et les habitants s'inquiètent à présent de savoir si la glace tiendra.
Quand en hiver les températures dépassent zéro degré, Marilyn Baikie et ses collègues organisent des activités - artisanat ou du partage d'expérience entre jeunes et plus vieux - pour passer le temps et atténuer leur stress.
D'autres projets portent sur la participation à des travaux scientifiques ou la cartographie des itinéraires sûrs pouvant être empruntés sur la glace.
La question se pose même de doter Rigolet, actuellement accessible uniquement par avion ou motoneige en hiver, d'une route.
"Quand vous en parlez, cela vous déchire vraiment le cœur", raconte Marilyn Baikie à l'AFP.
- "Réponse normale" -
Ils ont été parmi les premiers à alerter des impacts psychologiques liés au changement climatique il y a une dizaine d'années.
Pour ces habitants, leurs terres font partie intégrante de leur vie, explique la chercheuse Ashlee Cunsolo, qui travaille sur les liens entre changement climatique et santé mentale.
Elle fait partie des auteurs d'un nouveau rapport de l'ONU sur les conséquences du réchauffement qui sera publié lundi. Ce rapport devrait souligner les implications importantes du changement climatique en termes de santé, aussi bien physique que mentale.
Contrairement à d'autres maladies, bien visibles, l'impact psychologique est "lent et cumulé. Ça touche à l'identité", souligne Ashlee Cunsolo en parlant des habitants de Rigolet. Pour la chercheuse, ces personnes souffrent "du mal du pays tout y restant".
Ces impacts psychologiques vont d'un panel d'émotions - tristesse, peur, colère - à l'anxiété ou la dépression. Des gens touchés par des événements climatiques extrêmes peuvent souffrir de stress post-traumatique.
"Comment aider les personnes, de plus en plus nombreuses, confrontées à ce type de trauma?", s'interroge la chercheuse, alors que les catastrophes se multiplient.
Les jeunes sont particulièrement concernés. Selon une étude parue dans la revue Lancet Planetary Health, près de 60% des 16-25 ans interrogés craignent le changement climatique.
Ce chiffre monte à 84% aux Philippines. La peur est forte chez les jeunes ayant accès à internet et aux réseaux sociaux, souligne le psychologue John Jamir Benzon Aruta, basé à Manille.
"Ils s'inquiètent de la puissance qu'auront les typhons, si c'est un endroit sûr pour eux et leurs futurs enfants", explique-t-il. Cette anxiété peut être vue comme "une réponse normale à la menace actuelle", poursuit-il.
- "Solastalgie" -
Ce dont les gens ont besoin, soulignent un nombre croissant d'experts, c'est d'espoir.
Des visions dystopiques de l'avenir peuvent saturer l'imagination des gens, avertit le chercheur finlandais Panu Pihkala, pour qui il faut "maintenir le sentiment d'un sens dans la vie" et "mettre l'accent sur l'espoir".
Dès 2005, le philosophe et militant australien Glenn Albrecht forge pour l'éco-anxiété le concept de "solastalgie", la douleur de l'absence de réconfort, issu de l'anglais solace" (réconfort), et de nostalgie. Pour lui, il faut "réinventer la façon dont nous parlons de notre présent et de notre avenir".
Dans le village inuit, la reconnaissance de ces impacts émotionnels a aidé les habitants mais a aussi donné lieu à des recherches qui pourraient soulager d'autres personnes à travers le monde, espère Marilyn Baikie.
Les catastrophes climatiques ne doivent pas être présentées comme "inévitables", insiste-t-elle.
Chaque geste compte et si on y "investit réellement du temps et de l'attention, je pense que nous allons commencer à voir des changements", espère-t-elle. "Le temps est venu de cesser d'en parler et d'agir."
O.Escareno--LGdM