Les raisins de la colère: le Japon peine à protéger ses fruits de copies chinoises
La précieuse variété de raisin blanc que cultive Yuki Nakamura au Japon a nécessité 33 ans de développement. Mais elle est désormais cultivée, sans scrupule, en Chine et en Corée du Sud, qui privent l'archipel nippon de toute redevance.
Emballés comme des bijoux, les raisins de table sans pépins Shine Muscat figurent parmi les nombreuses nouvelles variétés de fruits que le Japon a patiemment développées. Et leur prix est aussi juteux que leurs grains, en atteignant parfois l'équivalent de 100 euros le kilo dans des grands magasins de Tokyo.
"Ce qui est génial avec le Shine Muscat, c'est que chaque grain de raisin devient gros, il pousse facilement et il est sucré mais pas trop", explique M. Nakamura à l'AFP dans son exploitation agricole à Ueda, près de Nagano, au coeur des Alpes japonaises (centre du pays).
Ce viticulteur de 35 ans rêve d'exporter ses raisins dans des endroits où les fruits japonais sont prisés, comme à Hong Kong ou en Thaïlande.
Mais là-bas ainsi que sur internet, on trouve des reproductions de Shine Muscat venues de Chine et de Corée du Sud, vendues nettement moins cher.
Selon le Japon, la Chine et la Corée du Sud ont prélevé des plants de vigne Shine Muscat et les ont greffés avec succès dans leurs pays pour produire des raisins d'apparence et de goût quasi similaires.
Les clients "font attention au prix", déclare Sau, un vendeur de fruits dans un marché animé de Hong Kong, où d'authentiques Shine Muscat japonais sont vendus deux ou trois fois plus chers que leurs copies chinoises.
"Mais vous pouvez sentir la différence" de qualité entre un Shine Muscat japonais et ses imitations, assure à l'AFP ce vendeur qui préfère ne donner que son prénom.
- Négligence et naïveté -
Les premières reproductions chinoises de Shine Muscat ont été découvertes en 2016, une décennie après l'enregistrement de cette nouvelle variété de raisin dans l'archipel nippon.
Mais le Japon n'a aucun moyen légal d'obliger la Chine ou la Corée du Sud d'arrêter de cultiver du Shine Muscat ou de lui verser des redevances: car, aussi invraisemblable que cela paraisse, Tokyo n'a pas enregistré cette variété à l'étranger dans les délais impartis suivant les règles internationales, explique à l'AFP le ministère nippon de l'Agriculture.
Les producteurs japonais ont péché par naïveté, ne s'étant pas imaginés qu'il viendrait à d'autres pays l'idée de reproduire le Shine Muscat.
"Il était difficile" de faire prendre conscience aux agriculteurs de la nécessité de considérer les fruits en "propriété intellectuelle", ajoute le ministère.
Le Japon ne peut pas exporter ses raisins en Chine continentale, du fait de règles de quarantaine chinoises très strictes.
Mais si jamais Pékin reconnaissait les droits du Japon sur le Shine Muscat, "cela pourrait rapporter une redevance supérieure à dix milliards de yens (62,7 millions d'euros au cours actuel) par an", souligne auprès de l'AFP Yasunori Ebihara, directeur de la protection des marques déposées pour les végétaux au sein du ministère de l'Agriculture.
Le ministère déplore aussi que de nouvelles variétés de fraises, cerises ou encore d'agrumes créées au Japon soient reproduites à l'étranger. Mais là aussi, Tokyo a négligé de verrouiller suffisamment la propriété intellectuelle.
Les Japonais vénèrent leurs fruits, au point de dépenser parfois des sommes folles pour acquérir leurs plus beaux spécimens. En 2019 par exemple, une paire de melons Yubari de l'île de Hokkaido (nord) s'était vendue au prix record de 5 millions de yens (plus de 40.000 euros à l'époque).
"Aussi, les agriculteurs japonais s'efforcent de produire des fruits de meilleure qualité, toujours plus sucrés et délicieux", selon M. Ebihara.
Depuis 2020 le Japon interdit d'emporter à l'étranger des graines et jeunes plants de variétés protégées sur son territoire, sous peine de sanctions sévères pouvant aller jusqu'à dix ans de prison.
Dans son exploitation agricole près de Nagano, Yuki Nakamura se réjouit que les raisins Shine Muscat soient à présent connus dans toute l'Asie.
Mais il "n'aime pas voir que quelque chose que le Japon a mis tant de temps à produire" soit cultivé et vendu à l'étranger sans respect de tout ce labeur.
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R.Espinoza--LGdM