La mission Proba-3 va inaugurer la voltige de satellites
Un vol d'une infime précision, au millimètre près, entre deux satellites, à plus de 60.000 km de la Terre: c'est le défi de la mission Proba-3 pour observer la couronne du Soleil avec un luxe de détails, présentée à la presse mercredi à Anvers (Belgique).
La couronne, cette "atmosphère" du Soleil, défie encore largement la compréhension. Invisible à l’œil nu comme avec de simples télescopes, aveuglés par la brillance de l'astre, elle s'étend sur une épaisseur de plusieurs millions de kilomètres.
Seule une éclipse totale de Soleil par la Lune en a révélé l'existence aux premiers astronomes, avant qu'un Français, Bernard Lyot, n'invente au 20e siècle le premier coronographe, en disposant l'équivalent d'un disque lunaire dans un télescope.
Cette invention a fait florès et la mission Proba-3 de l'Agence spatiale européenne (ESA) va la décliner de façon innovante. En septembre prochain, une fusée indienne va lâcher dans l'espace deux satellites qui travailleront en tandem pendant deux ans, en circulant sur une orbite hautement elliptique, une boucle faisant passer les engins de quelque 600 km d'altitude jusqu'à 60.000 km de la Terre.
Équipé d'un large bouclier d'1,40 mètre de diamètre, le premier satellite jouera le rôle de la Lune en occultant l'astre solaire. Il sera suivi de près par le second satellite, portant le coronographe ASPIICS, qui pourra ainsi observer la couronne solaire, dans la pénombre créée par l'occulteur.
L'opération demandera une précision encore jamais atteinte dans un tel exercice de vol en formation, effectué à 144 mètres de distance. Une distance qui sera respectée au millimètre près pour une observation optimale, là où celle d'une mission expérimentale précédente, PRISMA il y a plus de dix ans, atteignait le décimètre.
La mission a un double intérêt, astronomique et technologique.
D'abord observer la couronne solaire dans son ensemble, et ainsi complémenter les observations des deux sondes Solar Orbiter et Parker Solar Probe, explique à l'AFP Raphaël Rougeot, ingénieur systèmes à l'ESA et spécialiste du coronographe ASPIICS.
- Démonstration technologique -
Avec cet instrument, "on espère pouvoir observer la couronne solaire très proche du Soleil", dit-il. Et ainsi aider à percer l'énigme de la température de ce milieu très peu dense qui se mesure en million de degrés alors qu'elle plafonne en-dessous, à la surface du Soleil, à seulement 6.000 degrés.
Ce phénomène est "encore mal compris et peut-être lié à des phénomènes magnétiques", selon Raphaël Rougeot. Tout comme la physique voulant que la couronne soit la source du vent solaire "et surtout des éjections de masse coronale, ces gigantesques vagues de plasma et de champs magnétiques qui peuvent avoir des impacts sur la Terre et son environnement", poursuit l'ingénieur. Des évènements pouvant endommager satellites et installations terrestres.
Proba-3 est aussi une mission de démonstration technologique, explique Damien Galano, responsable du projet à l'ESA. Le vol en formation permet "dans le principe de +construire+ des systèmes de grande taille avec plusieurs éléments séparés", explique-t-il à l'AFP. Comme imaginé par exemple dans des avant-projets d'interférométrie spatiale ou de télescope rayon X à longue focale.
Plus prosaïquement, relève l'expert, maîtriser le vol en formation c'est aussi "avoir des capteurs et algorithmes à bord permettant la navigation, le guidage et le contrôle de la position relative entre différents objets". Le tout de façon automatisée et autonome.
Pour Proba-3, il s'agit notamment d'un capteur optique à reconnaissance d'image et surtout un capteur laser qui fournira une mesure de distance précise entre les deux satellites. A charge pour le satellite occulteur de régler finement la distance le séparant de son satellite suiveur grâce à un système de micropropulsion.
De telles technologies pourraient à terme trouver une application pour des services en orbite, pour réparer ou assembler des systèmes, ou les retirer de l'espace, précise Damien Galano.
La mission Proba-3 est le fruit, pour le compte de l'ESA, d'une collaboration de 14 pays, menée par le groupe de technologie espagnol Sener et du belge Spacebel, avec l'implication d'Airbus qui a construit les plateforme-satellites et de l'entreprise américaine Redwire qui a intégré tous les éléments.
Y.Suarez--LGdM