Dans l'ombre de la pandémie, les naufragés du Covid long
Depuis l'apparition de symptômes en 2021, Andrea Vanek passe la plupart de ses journées devant la fenêtre dans son appartement viennois pour observer le monde extérieur.
Son Covid long a été diagnostiqué après une longue errance thérapeutique, et encore aujourd'hui cette Autrichienne de 33 ans fait le moins d'efforts possible, terrifiée à l'idée de subir un nouvel épisode de faiblesse musculaire invalidante.
"Ma vie est en suspens, parce que je ne sais pas combien de temps cette maladie va durer", dit-elle à l'AFP, ouvrir une simple bouteille d'eau devenant impossible lorsque surviennent les crises.
Le mal s'est manifesté au début par des vertiges et des palpitations cardiaques, qui ont soudainement commencé à l'empêcher de faire de courtes promenades avant de faire dérailler sa vie. En pleine reconversion, elle a dû abandonner ses études pour devenir professeur d'arts appliqués.
Il y a tout juste cinq ans, la maladie émergeait en Chine. Depuis, elle a officiellement tué plus de sept millions de personnes dans le monde, mais l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que ces chiffres sont largement sous-estimés.
- "Vie bouleversée" -
Parmi les 777 millions de cas recensés, des millions souffrent de symptômes prolongés, les plus courants étant la fatigue intense, l'essoufflement, les douleurs musculaires, le brouillard cérébral.
Environ 6% des personnes infectées par le coronavirus développent une forme longue. "Un grave problème, touchant beaucoup de gens", selon Anita Jain, du programme d'urgence sanitaire de l'OMS, les réinfections augmentant les risques.
Chantal Britt, qui vit à Berne en Suisse, a contracté le Covid en mars 2020. Sa vie a été "bouleversée", l'obligeant à se "réinventer".
"J'étais vraiment une lève-tôt... Maintenant, je mets au moins deux heures à sortir de mon lit tant j'ai mal partout", explique-t-elle.
"J'ai arrêté d'espérer me réveiller en forme, mais me sentir si vieille et si cassée, cela me surprend toujours", dit cette femme de 56 ans alors qu'elle se décrit comme un ancien "bourreau de travail".
Le sport était pour cette ex-marathonienne une "thérapie" et bouger lui manque. Elle doit maintenant planifier son quotidien à la minute, par exemple en prévoyant des endroits où s'asseoir quand elle va faire ses courses.
Affirmant avoir perdu son emploi dans la communication il y a deux ans après avoir demandé à réduire ses heures, elle a obtenu un temps partiel dans la recherche universitaire, notamment sur le Covid long.
- "Maladie invisible" -
Le manque de compréhension dans son entourage lui pèse: "c'est une maladie invisible et donc stigmatisée", regrette Chantal Britt.
"Même les personnes gravement atteintes, qui sont chez elles, dans une pièce sombre, que l'on ne peut plus toucher, qui s'effondrent au moindre bruit, n'ont pas l'air malades".
Les femmes sont plus touchées que les hommes selon l'OMS, comme ceux qui ont déjà des problèmes de santé. Et environ 15% des personnes atteintes présentent des symptômes persistants pendant plus d'un an - plus de 200 ont été répertoriés.
Hétérogènes, plus ou moins sévères, ils peuvent fluctuer dans le temps, laissant le milieu médical désemparé. Etablir un diagnostic peut aussi relever du chemin de croix.
"Aujourd'hui, il faut redoubler d'efforts sur l'aide aux patients comme aux médecins avec les outils nécessaires pour une détection à un stade précoce", estime l'experte de l'OMS.
Leur soutien financier pose aussi question alors que nombres de malades plongent dans la précarité. Andrea Vanek a intenté deux actions en justice pour espérer obtenir plus que les 800 euros mensuels qu'elle reçoit actuellement.
La somme est insuffisante en Autriche pour couvrir ses dépenses, alourdies par les factures médicales et l'achat de dizaines de comprimés. Mais les deux affaires demeurent pendantes.
"Pour ceux qui étudient ou sont en formation, c'est une situation très difficile car on passe entre les mailles du filet" de la sécurité sociale, déplore-t-elle.
Chantal Britt aimerait que la recherche avance sur les syndromes post-infectieux, "qu'il nous faut mieux connaître", juge-t-elle. "Car il y aura une autre pandémie et nous serons toujours aussi démunis".
G.Montoya--LGdM